Tadoussac Québec
Du 5 au 14 août
Epreuve initiatique : notre vaisseau est pris dans une frénésie de tourbillons, tourbillons de vie, vie de plancton, de cétacés. Les oiseaux eux-mêmes n'en croient pas leur yeux : c'est ici que depuis la nuit des temps, les courants violents du Saguenay défient la puissance du St Laurent dans un corps à corps de création du monde.
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Relâche : dans le fracas de sa chaîne d'ancre libérée " Zen " mouille devant Tadoussac et, le calme retrouvé, respire une des plus belles baies du monde.
Soubresauts d'une histoire bouillonnante, Cap sur Tadoussac : Edouard est bien du 19ème siècle, et pourtant cet étrange personnage a l'étonnante faculté de sautiller d'un siècle à l'autre.
Suivons-le : il a l'air d'en connaître un bout et il parle! " Vous savez, Tadoussac c'est petit, mais il s'en est passé des choses ici. De la petite histoire pis de la grande histoire! ".
On avait bien appris qu'en 1604 Champlain nous avait précédés mais on ignorait qu' il avait été reçu à Tatoushacks par le grand sagamo Anadabijou, chef des Montagnais. Et là, surprise : le grand sagamo et Samuel Champlainsont devant nous en chair et en os! Après avoir signé un traité d'amitié, voilà qu'ils se mettent à parler religion :
Anadabijou : " après que Dieu ait fait toutes ces choses, il prit quantité de flèches et les mit en terre d'où il sortit hommes et femmes qui se sont multipliés dans le monde. "
Champlain : " ce n'est pas ce que la religion catholique nous a enseigné, je crois qu'on vous a mal informé "
Anadabijou ( un peu contrarié) : " pourtant cela est tout vrai. C'est ce que nos ancêtres nous ont enseigné : les hommes et les femmes sont nés des flèches de Dieu… "
Champlain (condescendant) : " j'en ai une autre opinion. Après la création du monde, Dieu prit du limon de la terre et en créa Adam… "
Cela sentait la " chicane " et nous nous faisions tout petits dans un buisson de framboises sauvages. Heureusement, ils finirent par trouver un mot politiquement correct pour se quitter en bons termes.
Monsieur Edouard était en forme il parlait du 18ème, du 19ème puis revenait au 17ème siècle en arrivant au " poste de traite " construit en 1600 par Pierre Chauvin de Tonnetuit au nom du roi de France Henry IV pour y traiter les peaux avec les excellents chasseurs qu'étaient les indiens.
Ho, ho ! ces deux là on tout l'air de faire des affaires.
Kateri, une jeune amérindienne : " …je les ai vus, une forêt sur la mer, avec des soldats partout debout sur les ponts. "
François, le commis du poste de traite : " en 1755, nous avons perdu l'Acadie, la population déportée ou cachée dans les bois… ah nous savions bien que notre tour viendrait! 4 ans plus tard, voici maintenant l'Anglais devant Québec. "
Kateri : " …tu penses à la défaite avant même de livrer bataille? Tu n'as pas l'âme d'un guerrier ! "
François : " non, je suis un commerçant, j'aime mieux brasser des affaires que faire la guerre…
Bon : l'automne dernier je t'ai donné deux couteaux, une couverture blanche de Normandie, trois barriques de blé d'inde et deux bons chaudrons des forges de St Maurice. "
Kateri : " et voici les peaux de martre que tu m'as demandées, tu sais je n'aime pas tuer la martre, on ne peut même pas la manger!… "
Et nous voilà cette fois devant un édifice bien plus ancien que monsieur Edouard… Le père Coquart, c'est lui qui en 1747 a bâti cette petite chapelle, et elle est toujours debout aujourd'hui. C'est la plus vielle église en bois de l'Amérique de nord !
Deux heures de voyage intemporel cela donne soif, aussi Edouard nous invite à prendre une tasse de thé à son lieu de travail :![]()
le Grand Hôtel Tadoussac…en 1930!
A la source de l'imaginaire, le flot des mots
…" Me mettre en relation avec un certain corps spirituel…c'est comme faire une prière de me ramasser devant mon public pour passer un bon moment ensemble "
Simon Gauthier est conteur, sorcier de l'imaginaire et poète.Si nous changeons un si par un fa
Un fa par une femme
Et si, artisan que je suis
Je décide de façonner le visage
De cette femme qui me fascine
Alors se dessine sur fond de velours
Au rythme de mes mains et de mon tambour
Le visage de l'amour.
Au gré des vents, nous rentrons doucement
au cœur de l'Amérique et, de la mer, il ne restera bientôt qu'un brumeux souvenir.
" Je puise aux 4 vents du St Laurent la source du mouvement qui bat le rythme de ma créativité "
Créatrice mais aussi naturaliste, Mahorée nous explique le pourquoi du " …corps à corps de la création du monde. "
La rencontre des eaux du St Laurent et du Saguenay produit un front bien visible à la surface.A marée haute, des eaux très froides et lourdes, provenant des couches profondes du St Laurent, sont remontées sur les seuils à l'embouchure du Saguenay. Les riverains appellent ce tourbillon " la ballerine ".
Mahorée forge ses pièces sur l'enclume, soude et compose son œuvre à partir d'algues marines séchées (laminaires et mousses d'Irlande) sur des papiers fabriqués sans acide et dans le respect de l'environnement.
Parfois je te retrouve, calme comme l'enfance à l'aube des brouillards, tes eaux comme l'huile, on te croirait endormie.
…l'espace d'un moment, tu chavires tout, tu ordonnes aux mille vents de se lever fiers et debout…
…Et en moi se lèvent les brumes comme glace sèche ou fumées denses en mon fjord intérieur, cette sorte de crevasse folle en nous, cet abîme qui parfois charme, parfois aspire tout…
Simon Philippe Turcot ; son texte et sa peinture
C'est dans un univers très " Jules Verne " que Réjean Dubé, président de la marina de Rimouski, nous embarque : son père et son grand-père étaient les derniers gardiens du phare de l'île du Pot à l'Eau de Vie.
Nous étions au mouillage dans l'extraordinaire baie du Bic et comme pour nous mettre dans une atmosphère de frissons, une pluie torrentielle crépitait sur le pont du bateau pendant que Réjean racontait l'île de son enfance.
" Louis Dubé, mon grand père, a veillé sur le phare
du "Brandy-pot" de 1923 à 1944. Du haut de ses 1 mètre 65, il n'était pas bien costaud et pourtant…
C'était au début du mois d'avril 1926. La navigation, interrompue par l'hiver, reprenait difficilement dans les "froozies" (glace concassée par la débâcle) sur le fleuve : Louis et son fils devaient alors se rendre au phare pour le remettre en service.
Partis à l'aube avec leur chaloupe remplie de vivres et fournitures pour l'entretien des bâtiments, la débâcle était exceptionnellement tardive cette année là, ils avaient très vite mesuré la difficulté de cette traversée.
Devant la brutalité des impacts avec la glace, l'embarcation avançait péniblement et pour réduire les dégâts, ils contournaient le "pack" rallongeant de la sorte ce parcours interminable.
A mi-parcours près du récif "Marmen" un nordet bien soutenu s'établit comme pour éprouver d'avantage les deux hommes, ils se relayaient toutes les demi-heures pour souquer sur les avirons.
Ses mains presque gelées accrochées aux rames, Louis se rassurait ; l'énergie fournie n'était pas vaine : ils y arriveraient, ils devaient y arriver ; la vie des marins navigant sur le fleuve en dépendait, et puis ramer ça réchauffe! se disait-il pour se donner du courage.
Il faisait nuit quand, épuisés, ils abordèrent l'île : il leur aura fallu 17 heures pour parcourir les 4,6 miles qui les séparaient de Rivière du Loup.
Un quart d'heure plus tard, le phare enfin allumé rassurait la famille Dubé restée à terre et les marins en quête de repaires… "En 1979 une poignée de biologistes conscients des richesses des îles du bas St Laurent décident de les protéger.
Ils fondent une corporation sans but lucratif ; avec l'aide de partenaires ils réussissent à racheter plusieurs îles dont celle du Pot à l'Eau de Vie.
Un programme d'interprétation est créé en 1989, le phare, alors abandonné par la garde côtière est entièrement restauré pour devenir une structure d'accueil.L'accent est mis sur le respect de la faune et seuls les oiseaux fréquentent les sentiers pendant la nidification : Cormorans à aigrette, grands Hérons bihoreaux à couronne noire, Eiders à duvet, Petits Pingouins, Guillemots à miroir et les Goélands ont fait de cette île une joyeuse pouponnière.
Do
L'été 1983 André Tremblay, l'exubérant initiateur et animateur de l'Auberge de Jeunesse, invitait quelques musiciens et, en guise de clin d'œil, baptisait ces soirées de fête "le festival de la chanson de Tadoussac".
Ré Dans une joyeuse fébrilité créatrice il imaginait même de transformer le village en station de métro pour précisément y faire jouer les musiciens du métro de Montréal !
Mi Toujours est-il que dès l'été 1984, un vrai festival de la chanson (le premier au Québec) faisait chanter tout Tadoussac.Fa Catou Marck est aujourd'hui la chef d'orchestre d'un festival réputé au Québec et attirant chaque année d'avantage d'amoureux de la chanson française et québécoise avec des artistes comme :
Richard Desjardins, les Colocs, Marie-Jo Thériault, Daniel Lavoie et beaucoup d'artistes à découvrir, débusqués par Catou et son équipe.
Sol Si le festival se déroule au mois de juin, juillet et août jouent les prolongations à travers plusieurs spectacles organisés dans les différents "bistrots" et salles du village.
La Au "Fjord" par exemple le critère de choix pour le recrutement du personnel de salle est d'être avant tout musicien.
Si Entre deux services, le crayon derrière l'oreille, Valérie, Eric et Dany nous jouent une tite pièce de musique, musique plaisir, musique dessert.
"Un pays qui sait chanter est un pays qui cultive le bonheur"
Nos grands parents se souviennent encore des veillées où ils avaient souvent le plaisir de retrouver les amis, la famille autour du feu pour y jaser, chanter et danser quand le vin était bon. L´initiative de Nathalie Ross donne un souffle nouveau à cette forme de cohésion sociale et répond à une attente : 75 hommes et femmes originaires de la côte Nord (de Tadoussac à Forestville) ont choisi de se rencontrer régulièrement pour fusionner leurs voix dans un choeur vibrant.
La chorale baptisée "Les gens de mon pays" avec les encouragements de Gilles Vigneault, était, dès la 1ère année de son existence, en mesure de partager avec le public le bonheur de chanter Plamondon, Vigneault et des mélodies du moyen âge.
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Nous avons trinqué à "nos deux rives" : on aperçoit maintenant les deux côtés du St Laurent.
Mais, entre la brume quotidienne, le courant descendant qui va parfois jusqu'à 5 nœuds et les vents du sud ouest dominants en cette saison; la navigation n'y est pas facile.Dès notre arrivée, Gaby, l'agente culturelle de Tadoussac, nous prend en charge et nous façonne notre emploi du temps. Les touristes aussi ont droit à tous les égards, et l'hiver qui doit être très beau sera l'occasion d'un juste repos pour les Tadoussaciens.
Merci beaucoup monsieur le Maire, ainsi que Mado et sa marina sympa, Christophe le comédien, Simon le conteur fou, Gaétan le bouquiniste, Catou et Raoul du "bateau", André de l'auberge de jeunesse, la Gaby, Régean de Rimouski et à tous les jolis sourires.
Et si on échouait le bateau pour rester encore un peu...
La prochaine escale sera Québec, la grande ville.
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